Jamais auparavant je n'étais passé dans ce petit monde de Flocy, à la fois tendre et retranché. Semblant inviter à la méditation et au silence suspendu de la pensé, je décidais d'entrer dans la galerie des statues.
...Beaucoup de monde que je ne connaissais pas, beaucoup de personnes qui, dans ce jardin aux statues comme moi, étaient probablement venues à leur propre rencontre...
Je vis la statue me représentant. Je restai fixe un instant en la regardant, lisant encore et encore mon nom sur le socle. Comme pour être sûr que cet être figé était bien un fragment perçu de moi par Flocy. Comme une traînée de poudre, mes pensées explosèrent.
Les "autres" que nous sommes amenés à rencontrer, emportent avec eux un fragment capturé de nous-même, capturé à l'insu de notre conscience ou pas. C'est ainsi pour chacune des personnes qui nous a rencontré. Si l'on pouvait rassembler tous ceux-là, en mettant bouts à bouts les fragments qu'ils nous ont empreinté pour toujours, nous aurions alors un puzzle de nous-même devant les yeux.
Serait-ce là le meilleur moyen de nous voir dans les yeux des autres sans poser un genoux à terre ? En tout cas, Flocy avait aussi emporté un fragment de moi. J'étais face à ma propre révélation.
En découvrant la statue de la "sagesse", j'ai été un premier temps interrogatif sur le bien fondé de la perception de Flocy. Le temps aidant, comme à l'accoutumée, il m'a été révélé une vue de moi que je ne connaissais pas. Me suis-je déjà dissimulé de moi-même ?
J'avais fait la première erreur de penser que le sage est celui qui dispense la bonne parole, tel un mauvais Christ, tel un donneur de leçon. Le temps de réflexion m'indiqua que la sagesse est celui qui parvient à voir la justesse et le discernement des choses de la vie. Je me suis dis "Peut-être"... Mais suis-je vraiment ainsi ?
Mais qui suis-je finalement ?
Suis-je un être juste ?
Suis-je sincère avec moi-même ?
Suis-je doué du bon sens ?
Suis-je modéré tel le sage ?
Ai-je montré de moi une image honnête, sincère et humble ?
Suis-je honnête envers moi-même ?
Tant de questions qui se bousculaient dans ma pensée...
Enivrement de l'alcool de mes sens, enivrement du capitaine qui n'a jamais pris la mer, ou si peu l'amer...
Mon étourdissement spirituel me fît perdre la raison... En un instant, le noir de mes sangs d'encre aveugla mon discernement sur moi-même. Je n'étais plus moi. J'étais Flocy, son regard, mais aussi ceux que j'avais croisé... Je fus étonné de me rendre compte que j'étais dans le souvenir de tant de personnes finalement. Sans le savoir, ou en le sachant, nous laissons des traces au sein des autres, mais pas forcément ce que l'on pense ou ce que l'on voudrait. Je ne savais plus rien en un instant. Mon allié, le silence, devenait en une seconde mon ennemi. Le silence me perdait dans tous ceux que j'avais rencontré jusqu'à maintenant. Spirale des autres et de moi. Nous sommes tous liés les uns aux autres, que nous le voulions ou pas. C'est ainsi l'essence de l'homme. L'homme est un animal grégaire, doté d'une pensée qu'il doit sans cesse ajuster.
D'un coup de revers de manche, je balayai toutes mes pensées. Il ne resta plus rien... Silence...
Puis un sourire se dessina lentement sur mon visage, une lumière venue du noir de mes yeux jaillit du fond de mon coeur. La conclusion était là. Oui, je la tenais dans ma main et dans mon coeur.
Qui suis-je ?... Personne et tout le monde...
Que sais-je ?... Rien car il n'y a pas de vérité unique...
Et si le sage était celui qui ne cherchait plus rien. Parce qu'il n'y a rien à chercher.
Le sage serait-il celui qui sait qu'il n'y a rien à savoir ?
Si c'est ainsi, alors je veux bien être sage...
J'étais presque riant, le nez dans le ciel, les jambes à mon cou, courant dans le vide.
Après avoir observé cette statue de moi, de Flocy, de nous tous finalement, humains uniques, je me relevai, saisissant ma besace.
En me penchant pour l'ouvrir et fouiller dedans à la recherche de mon pipeau, je riais de réaliser que je ne savais rien.
Après avoir refermé ma besace, portée sur mon épaule, je partis, tranquillement, le pas assuré, je jouais un air guilleret de pipeau en m'éloignant du jardin aux statues.
En route, me dis-je. Il tant de monde à trouver sur ma route... J'ai hâte de savoir qui je suis. Ils sont tous mon miroir et je suis une partie du leur.
Et toi qui lis mes pensées ? Que va tu prendre de moi ?...